ENTREVUE – Rencontre avec Hicham Ayoub Bedram, l’éditeur de jeux de société derrière Studio H

Gabriel Smith
lecture de 14 minutes

En 2019, Hachette Livre annonçait la création de Studio H, maison d’édition de jeux de société. Celle-ci a confié la direction de Studio H à nul autre qu’Hicham Alexandre Ayoub Bedran.

Hicham Ayoub Bedran lors de la rencontre média au Randolph DIX30

Hicham Ayoub Bedran est éditeur de jeux de société, de jeux de rôle et de romans. Il a également été consultant pour le jeu vidéo en ligne et le jouet. Possédant plus de 15 ans d’expérience dans la presse magazine en tant que rédacteur en chef de titres jeunesse et de cinéma, il a fondé la maison d’édition de jeux Matagot en 2005 où il en a été président jusqu’à la cession de la maison d’édition.

Le 20 avril dernier, je me suis déplacé au Randolph du Quartier Dix30 pour réaliser une entrevue avec Hicham Alexandre Hayoub Bedran. Pour certains, ce nom ne vous dit peut-être rien mais, en fait, il s’agit de l’homme à la tête du Studio H, un studio qui a comme défi de nous concocter des jeux de société tels qu’Oltréé ou leur tout récent Suspects.

Quel est le jeu que vous avez conçu que vous recommandez le plus aux fans de boardgames et pourquoi ?

Hicham : Nous, au sein de Studio H, notre particularité est que nous sommes un éditeur assez généraliste. Nous n’avons pas de ligne éditoriale, on va dire qu’on va se cantonner sur des jeux experts, soit des jeux familiaux. Du coup, après ça va dépendre du public auquel on s’adresse, alors si on prend par exemple Oltréé, une de notre dernière sortie, qui est un grand jeu coopératif et qui a été conçu pour pouvoir à la fois faire jouer des joueurs passionnés mais du même coup avec leurs familles. Parce que nous l’avons conçu pour faire vivre une histoire aux joueurs et surtout coopérative, on n’a pas forcément besoin qu’un joueur doit prendre les leads et explique aux autres joueurs comment jouer. Finalement je dirais que c’est peut-être l’un des jeux les plus passerelle chez Studio H.

Quel élément a eu l’impact le plus positif sur la conception de votre jeu au cours de l’année écoulée ? Cela peut être un outil, un livre, une application, etc.

Hicham : Je ne sais pas si on peut parler d’un outil, mais pour nous le gros changement qu’il y a eu est dû au confinement. Il a fallu que les membres de l’équipe s’organisent chacun dans son coin mais cela a fait en sorte de nous pousser à plus communiquer. Au lieu d’être tous ensemble et de nous montrer nos ordinateurs, on pouvait simplement se partager plus d’images et on pouvait travailler à trois sur une règle de jeu en étant tous connectés en même temps. Je dirais que ça a eu un impact assez fort sur nous. Le travail en tant qu’éditeur face aux auteurs a été aussi différent durant ce moment de confinement. Nous, en tant qu’éditeur, nous avons mis plus de jeux sur des plateformes numériques de partage pour pouvoir tester les jeux à distance. Ces éléments nous ont beaucoup impactés ces derniers temps.

Gabriel : Il faut dire que la pandémie a beaucoup changé les façons de travailler. 

Hicham : Exactement, après on s’adapte et parfois il y a des choses qui sont plutôt agréables. Par exemple, le partage numérique, moi je trouve que ce n’est pas toujours très pratique de jouer de manière amicale entre amis. Par contre, pour un auteur qui a un jeu, je lui conseille de faire ses partages numériques. En fait, ce sont des plateformes qui gèrent le matériel, ce qui évite à l’auteur de découper toutes ses cartes, de les envoyer par la poste à plein d’éditeurs et d’attendre qu’ils ouvrent les boîtes et de se rendre compte que les règles sont mal écrites. Les plateformes numériques ont finalement sauvé du temps aux auteurs et il ne suffira qu’à se céduler un rendez-vous pour parler de l’intérêt sur son jeu. 

Comment un échec, ou un échec apparent, vous a-t-il préparé pour un succès ultérieur ? Avez-vous un « échec préféré » ?

Hicham : Dans notre milieu le plus important c’est l’anticipation. Ce qu’on essaie d’apprendre de nos erreurs c’est de pouvoir avoir des jeux qui sont prêts le plus rapidement possible, tout en montrant le jeu à nos partenaires, à la presse et aux joueurs. Le but de tout ça est que quand le jeu arrive qu’il puisse émerger au milieu de tous les autres jeux et après l’important c’est que le jeu soit bon. De toute façon, il faut pouvoir se faire connaître, pour ça le mieux est d’être prêt le plus tôt possible et de pas précipiter la sortie du jeu en tablette. Il vaut mieux bien travailler son jeu, quitte à perdre plusieurs mois et d’avoir le jeu le plus abouti possible.

Comment savoir quand s’éloigner d’un design ou au moins le mettre de côté pendant un certain temps ?

Hicham : Je vais donner mon point de vue en tant qu’éditeur. Nous en fait sur certains jeux nous allons avoir des phases sur lesquelles nous allons travailler. Parfois, on peut être bloqué, par exemple l’auteur a la bonne idée qu’il n’y arrive pas, dans ce temps-là nous allons accorder plus de temps à l’auteur ou par moment nous allons trouver quelqu’un à l’extérieur du projet qui pourrait nous aider. Notre rôle dans tout ça est de mettre en sommeil un projet pour en faire naître un autre tout en restant en contact avec les auteurs qui sont dans la période de sommeil pour ne pas qu’il pense que c’est oublié. Nous avons beaucoup de projets, il n’avance pas non plus au même rythme et c’est à nous de gérer les temps morts et les accélérations. Quand tout est prêt c’est à ce moment-là qu’il faut tout avancer et quand ce n’est pas le cas de mettre les projets de côté peut permettre d’avoir de nouvelles idées ou un regard plus frais.

Au cours des trois dernières années, quelle nouvelle croyance, quel nouveau comportement ou quelle nouvelle habitude a le plus amélioré vos compétences en conception de jeux ?

Hicham : On fait quelques jeux, qui sont d’assez gros jeux et pour le coup une de nos habitudes maintenant est au niveau des règles, l’harmonisation est de travailler à plusieurs et en même temps sur chaque point ainsi d’éviter le travail à relais. Car le travail à relais peut durer très longtemps, par exemple à trois, nous allons travailler deux jours ligne par ligne, chaque phrase dans les règles, à discuter et comme ça on avance, c’est une méthode qui est assez nouvelle. C’est une façon de travailler qui fait que nous travaillons ensemble, à plusieurs, en temps réel plutôt que l’un après l’autre et c’est beaucoup plus rapide.   

Si un de vos amis est sur le point de s’asseoir pour présenter un jeu à un éditeur, quels conseils lui donneriez-vous ?

Hicham : Alors, le conseil que je peux lui donner est a-t-il déjà montré son jeu à d’autres personnes, si possible à des inconnus ou des semi inconnus, c’est-à-dire pas à ses amis ou à sa famille. Parce que l’éditeur en fait n’a pas vocation à être testeur de jeu, parfois il y a des auteurs qui disent qu’ils ont fait un jeu et qu’ils croient qu’il est bien, donc du coup ils vont aller voir un éditeur pour connaître son avis. L’éditeur n’est pas là pour donner son avis, l’éditeur est là pour dire je veux publier un jeu ou je ne veux pas publier un jeu et non pour dire que votre jeu est pas mal, il faudrait peut-être changer des petites choses. Parce que si vous faites ça, quand vous allez revenir pour corriger votre jeu, l’éditeur aura toujours l’idée en fait de votre jeu qui n’était pas fini à la base. Vous êtes mieux d’aller voir un éditeur bien préparé et pour ce cas, il existe des salons ou se trouve des tables d’auteurs et c’est un excellent endroit pour recevoir des avis extérieurs. Dites-vous que quand vous allez voir un éditeur, c’est que votre jeu est dans sa phase la plus finale possible car le tout va enchaîner une mauvaise impression et comme on dit on n’a qu’une seule fois pour faire bonne impression.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un d’intelligent, motivé et débutant qui se lance dans la conception de jeux ? Quels conseils doivent-ils ignorer

Hicham : Déjà pour faire du jeu il faut se lancer, il ne faut pas hésiter à changer des choses donc souvent il faut être un peu bricoleur. Il faut avoir quelques notions de mise en place, le tout peut être également sur power point. Après il faut faire ce qu’on a envie, il faut pas non plus entrer des choses trop théoriques en disant oui, aujourd’hui il faudrait faire tel type de jeu, ce n’est pas la question. On fait un jeu car on pense qu’il est bien, après s’il plaît à un éditeur, tout ça c’est autre chose. Déjà que c’est peu probable qu’un premier jeu soit complètement abouti mais ce n’est pas très grave, après tout on en fera d’autres et peut-être après quatre tentatives on reviendra au premier jeu pour le changer. Il faut d’abord que ce soit un loisir, ensuite quand on est suffisamment à l’aise, il faut penser à se professionnaliser. Par exemple, apporter son jeu à des festivaux ou des associations d’auteurs seront des endroits idéaux pour faire tester son jeu.  

Quelle est l’une de vos philosophies fondamentales concernant la façon dont vous vivez votre vie et comment se manifeste-t-elle dans la conception de votre jeu ?

Hicham : Pour l’édition de jeu, il faut être humble et prétentieux. Il faut être prétentieux parce qu’à un moment donné il faut assumer des choix. On ne peut pas toujours essayer d’éviter l’inconnu. Parce qu’on ne sait pas si le jeu va plaire avant qu’il sorte, oui on peut faire des tests mais on ne peut pas non plus se baser sur cinq personnes. À un moment donné on va assumer un choix et une décision, après il faut savoir assumer les succès, ce qui est facile, mais il faut également assumer les échecs. Il faut simplement se dire qu’on fera mieux la prochaine fois et non de mettre la faute sur les joueurs en disant qu’ils sont nuls ou qu’ils ne comprennent rien à mon génie. Finalement, si on fait plus de jeux qui marchent que de ceux qui ne marchent pas, on se dit qu’on est pas mal comme éditeur. Par contre, il faut éviter de se remettre en question si ce n’est pas le cas. Il faut comprendre que finalement le seul arbitre est le joueur et le marché. 

Gabriel et Hicham lors de la rencontre médiatique

J’aimerais prendre le temps de remercier Hicham Alexandre Hayoub Bedran pour cette très belle entrevue et tous les gens impliqués chez Randolph pour ce temps offert!

Partager cet article
Animateur du podcast G Pour Geek, Gabriel est un passionné de jeux vidéo depuis l'âge de cinq ans. Il aime avant tout les FPS, RPG et surtout les jeux de plateformes. Fanatique de Nintendo, bandes dessinées et de lutte également. Trois sujets qu'il essaie d'être le plus objectif possible malgré son amour pour les trois.
Écrire un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.