Depuis bientôt six ans, l’émulateur Yuzu permet de lancer des jeux Nintendo Switch sur PC. Sa popularité est telle que bon nombre de joueurs passent par ce logiciel pour obtenir une expérience de jeu parfois supérieure (60 FPS, HDR, etc.) par rapport aux capacités techniques de la console officielle. C’est sans compter sur les copies pirates, qui pullulent sur la toile. Un cas de figure particulièrement parlant est celui de The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom, téléchargé plus d’un million de fois avant sa sortie en mai 2023. Aujourd’hui, Nintendo entend cesser cette pratique en traînant Yuzu devant les tribunaux américains : un exercice qui rappelle quelque peu sa croisade contre le marché de la location en 1989 dans un cas célèbre qui l’opposait au géant de l’époque, Blockbuster. Et un peu comme cette échauffourée, la société n’arrivera sans doute pas à la conclusion espérée.
Selon Nintendo, Yuzu ne respecte pas le Digital Millennium Copyright Act (DMCA). À ses yeux, l’émulateur « facilite le piratage à une échelle colossale ». Parmi les arguments avancés, notons celui que Yuzu serait conçu principalement pour contourner les mesures de cryptage de la Nintendo Switch. De fait, le géant du jeu vidéo demande à la cour d’empêcher Yuzu d’opérer par le biais d’une injonction permanente. De faire table rase de sa présence en ligne, réseaux sociaux compris, et même de mettre la main sur certains disques durs en vue de les détruire pour tenter d’effacer toute trace de cet émulateur. Sans compter, bien sûr, sur une compensation monétaire pour envoyer un message aux autres acteurs de la scène de l’émulation.
Revenons un peu au comparatif avec les années 1980 où Nintendo a essuyé un revers historique dans sa lutte contre la location de jeux vidéo. Le parallèle ici est qu’une société – la plus riche du Japon, soit dit en passant – s’attaque aux petits joueurs dans une quête puérile. Comme l’a démontré le cas Bleem! contre Sony en 1999, l’émulation n’est pas une pratique anticoncurrentielle. Il est tout à fait légal de posséder un émulateur voire d’en développer un. D’un autre côté, télécharger une image de cartouche ou de disque (ROM) constitue du piratage et est passible de sanctions criminelles au Canada comme ailleurs.
Pourquoi Yuzu?
La protection des droits d’auteur et des propriétés intellectuelles font partie du quotidien de la plupart des grandes sociétés. Si je peux être en désaccord avec le fait que Nintendo se lance dans un énième combat contre des façons alternatives de découvrir ses produits, le cas Yuzu est unique dans le sens que le logiciel aurait été conçu spécifiquement pour contourner les mécanismes de protection des jeux Nintendo Switch. Qui plus est, les joueurs utilisent Yuzu pour élever l’expérience grâce à des mods de performance, ce qui mine le produit officiel. C’est aussi pourquoi je pense que Ryujinx n’a pas été évoqué : cet autre émulateur Nintendo Switch se concentre plutôt sur la stabilité des jeux, alors que Yuzu tente d’aller plus loin (trop loin?) et empoche plus de 40 000 $ par mois sur son Patreon. Une donnée qui doit faire grincer les dents de bien des hauts gradés chez Big N.
Dans tous les cas, je crois que personne ne ressortira gagnant une fois que le verdict tombera. Si la cour donne raison à Nintendo, la scène de l’émulation en prendra un coup. Inversement, si Nintendo perd, nous aurons l’impression de revivre des combats inutiles comme nous en avons vécu plusieurs dans le passé. Ce qui m’agace le plus, c’est qu’on semble oublier pourquoi l’émulation existe et revêt un caractère si important : la préservation des jeux vidéo. Dans un monde idéal, Nintendo proposerait un large éventail de ses titres passés sur eShop, ce qui est loin d’être le cas. De plus, l’émulation vient répondre à une demande claire en matière de capacités techniques. Je ne suis pas là pour encourager le piratage non plus; j’aimerais simplement que les sociétés tirent les bonnes conclusions de succès tels que Yuzu, au-delà de leurs aspects problématiques en tant que vecteurs pour des gens sans scrupule.